By Mathias Delori

Comme le souligne l’historienne militaire Joanna Bourke, « l’acte caractéristique des hommes en guerre n’est pas de mourir, mais de tuer ». Cette simple observation a donné lieu à une importante littérature sur le rapport des soldats à la souffrance et à la mort qu’ils provoquent. Cette littérature a montré que le consentement militaire à tuer ne trouve pas son origine dans une nature biologique prédiscursive. Elle est plutôt médiatisée par des structures de sens puissantes – telles que les récits nationalistes ou les représentations diabolisées de l’ennemi – qui déterminent quelles vies doivent être reconnues comme vivables et quelles vies doivent rester exclues de cette économie de la compassion. Cet article étudie la manière dont le consentement des militaires à tuer est construit dans le contexte des guerres occidentales contemporaines. Il le fait en se concentrant sur une étude de cas particulière : les soldats français qui ont participé à la guerre en Libye en 2011. L’analyse – basée sur 40 entretiens semi-structurés avec des chefs militaires et des pilotes d’avions de chasse – révèle une conception de la guerre où l’ennemi n’est ni un objet de haine, ni un sacrifice rituel, ni quoi que ce soit d’autre. Ce sont des « vies non dignes de chagrin (ungrievable lives) », comme l’exprime Judith Butler : « elles sont, ontologiquement et dès le départ, déjà perdues et détruites, ce qui signifie que lorsqu’elles sont détruites par la guerre, rien n’est détruit ». L’article passe en revue les idées et les matérialités qui ont conduit à ce cas spectaculaire de non-reconnaissance.
Published:
Global Discourse 4 (4), 2014
DOI:
doi.org/10.1080/23269995.2014.935102
Online available:
www.tandfonline.com
PDF:
Killing without hatred: the politics of (non)-recognition in contemporary Western wars
(223,05 Ko)